L’aube. Le moment de la nuit qu’elle préférait le plus. Le ciel n’avait pas tout à fait commencé à s’éclaircir que déjà, des tons d’orangé, de rose et de violet se mélangeaient les uns dans les autres pour donner à la voûte céleste ces si belles couleurs. Un horizon merveilleux se reflétant sur ce miroir lisse et brillant qu’était l’eau du Lac Hylia en cet instant qui, pour certain, serait qualifié de magique. Cependant, il ne l’était pas. Certes, en ce moment, tout est calme. Même Morpha n’osait pas remonter à la surface afin de terroriser les pauvres innocents qui oseraient s’avancer jusqu’aux berges de ce lac dont il est devenu le maître. Pas une créature ne dérangeait le calme de cette surface miroitante, pas une onde ne traversait l’eau. Rien. Le calme absolu. Des conditions qui, selon certains qui ont assisté aux attaques que Morpha a bien pu lancer contre les innocents se trouvant sur les rives de son lac, seraient beaucoup trop paisibles, des signes d’un mauvais présage. Le calme avant la tempête, diraient-ils. Mais non. Pas pour l’instant, du moins.
Le silence n’était atténué que par les rares chants des quelques oiseaux perchés dans les arbres présents en ce lieu. Depuis le retour du monstre dans ces eaux, rares sont les créatures de l’extérieur qui viennent visiter l’endroit, et encore plus rares sont celles qui y restent, même pour un court laps de temps. Elles le savent, elles savent que le danger les guette. Alors, si toutes les autres s’en allaient, pourquoi cette humaine restait-elle ici, assise sur la dernière île que ces ponts reliaient à la berge ? Elle était là, assise en tailleur au sol, son regard rubis perdu dans l’immensité du ciel. La douce brise qui venait de se lever, légèrement froide, ne semblait pas l’affecter pour autant. Elle était simplement là, silencieuse et immobile, à regarder le ciel de façon absente, comme si elle était perdue dans ses pensées… ce qui, en effet, était le cas. Sous l’apparence de son alter ego, Sheik, la princesse avait quitté le confort et la sécurité du château d’Hyrule avec l’intention de se rendre ici-même, au Lac Hylia. Cette période de l’année, avait-on observé, était celle où Morpha était beaucoup moins actif et ne se montrait que très rarement. Une belle occasion de s’y rendre et de retrouver, au moins, un léger semblant de paix.
Un soupir quitta ses lèvres, cachées derrière ce foulard trop blanc qu’elle portait pour dissimuler son visage et ainsi passer pour quelqu’un d’autre. Le déguisement parfait pour échapper aux regards trop vigilents des gardes du château, qui l’auraient ramenée de suite à ses quartiers du palais en lui refusant l’accès à l’extérieur. Elle était préoccupée par toutes sortes de choses ! Des choses les plus anodines aux plus graves. Elle en avait trop sur la conscience, et elle devait les évacuer. Ou, du moins, les oublier pendant un moment. Mais comment oublier tous ces problèmes quand ce sont ceux du royaume qu’elle dirige ? Ou alors, avait-elle le droit de vouloir les oublier pendant un certain temps ? Non. Elle ne pouvait pas faire ça, surtout avec le retour de Ganondorf. Pourtant, elle était ici, et bien qu’elle eût voulu les oublier, ils envahissaient ses pensées comme les sbires de son ennemi avaient envahi son royaume.
Le regard de la princesse, ainsi dissimulé derrière celui d’une sheikah, délaissa le ciel pour se poser sur le Lac. Elle ne pouvait s’empêcher de se sentir quelque peu coupable pour ce qui s’était produit. L’emprisonnement de Link, la dévastation du royaume et la guerre qui avait résulté de l’invasion. Des centaines de morts que ces nombreuses batailles avaient faites, et des centaines de blessés qui s’accrochent désespérément à leur vie, implorant les déesses de faire quelque chose pour les aider. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que le temps qu’il leur restait était compté, mais qu’ils avaient encore une chance de se sortir de cette guerre et de changer leur destin. C’était de sa faute, après tout. C’était elle qui n’avait pas su préparer convenablement le royaume en cas d’un retour imprévu de Ganondorf. Elle en prenait le blâme, et personne d’autre ne pourrait le prendre à sa place. N’avait-elle pas pu prévoir que Ganondorf n’était rien d’autre qu’un sale traître, huit ans plus tôt, dans ce futur alternatif qui n’est plus que mémoire, maintenant ? Oui, elle avait pu le faire. Alors pourquoi avait-elle été incapable d’en faire autant cette fois ? Elle secoua doucement la tête. Ses pensées devenaient de plus en plus sombres, et elle n’aimait pas cela. Seul le temps pourra les chasser de sa tête, pensait-elle.
Le temps. Pour une raison qui lui échappait, ces seuls mots lui rappelèrent quelque chose. Des paroles qu’avait dites Impa, sa nourrice, quelques mois plus tôt. L’épée de légende avait disparu. L’épée de légende… elle avait été volée du temple du Temps, peu après la libération de Ganondorf de sa prison dans le Saint Royaume. N’était-ce pas ce qu’elle voulait trouver ? L’épée de Légende ? Oui, c’était l’objet de sa convoitise. La trouver, mais pas pour la garder avec elle. Pour la redonner à Link afin qu’il puisse anéantir le seigneur du Malin une bonne fois pour toutes. Pour que le malheur cesse de s’acharner sur Hyrule et ses habitants. C’était là son objectif. Mais… comment trouver une épée qui a été volée par une personne dont l’identité nous est inconnue ?
Elle avait cherché à trouver des indices, des bribes de conversations qui auraient pu lui dévoiler de précieuses informations quant à son emplacement exact. Mais ces pistes qu’elle obtenait étaient toutes fausses, erronées. Elle avait cherché un peu partout, pourtant, aucun signe de la Master Sword. De quoi à faire abandonner même le plus déterminé des chercheurs. Cependant, elle n’avait pas dit son dernier mot. Et c’est pourquoi elle était ici, en cet instant même, assise près de l’eau au Lac Hylia. Elle tentait de démêler ses pensées, ses idées. Démêler le vrai du faux. Elle essayait de penser au prochain endroit où elle pourrait chercher pour cette fameuse épée, bien que nul nom ne lui venait en tête. Elle se leva, attrapant un petit caillou dans sa main et le lança plus loin sur la surface froide et lisse de l’eau, lui faisant faire des ricochets sur le miroir aquatique reflétant les couleurs douces de ce ciel d’aube. De minuscules ondes parcoururent sa surface, mais sans plus.
Que pouvait-elle faire, maintenant qu’aucune idée ne lui venait ? Elle ne pouvait tout de même pas aller plus loin, avancer à l’aveuglette sans savoir où chercher pour l’objet qui attisait sa convoitise. Non, elle le savait. Elle ne pouvait pas risquer de se faire capturer par ces femmes du désert, se faire emprisonner car elle avait voulu aller plus loin à la recherche de l’épée pourfendeuse du mal. Elle ne le pouvait juste pas.
Alors qu’elle observait le miroir d’eau d’un air lassé, une légère brise se leva de nouveau, la faisant frissonner cette fois. C’est en se tournant dos au vent glacé qu’elle capta du mouvement aux abords du Lac, un peu plus loin que l’endroit où le pont reliant la berge et la première île commençait. Doutant légèrement de ce que c’était, elle traversa le pont de bois qui menait au premier îlot, puis plissa les yeux pour tenter de mieux voir ce qu’elle avait repéré de son perchoir sur la deuxième île, quelques minutes plus tôt.
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Désolée du retard >< J'espère que ce n'est pas trop grave ._.